Limites de la pensée positive

Xavier Coquelle -  décembre 2013


Ils sont bien nombreux ces vendeurs d'un monde parfait où n'existeraient plus que des choses positives.

Ils vous disent que c'est simple, que le problème réside juste en votre façon de penser qui est trop négative. Ils vous montrent comment vos pensées suivent une logique de contraintes. Ils vous invitent à avoir un autre regard. Ils vous poussent à stopper net cette vision de vous-même comme une victime, et à attraper son contraire en développant votre responsabilité, votre propre pouvoir sur les choses,votre pro-activité.

Ils vous ouvrent un chemin qui paraît de lumière.

Soyons clairs: ils ont raison !

... en grande partie seulement.


Vous finissez alors par comprendre qu'il y a effectivement quelque chose à changer en vous même, dans votre façon de penser.

Pour certains, vous allez travailler à développer un rejet systématique de vos pensées négatives, et même de celles des autres. Vous allez suivre l'injonction de ces apparentes grandes âmes, comme un mantra vous allez répéter au point de ne plus penser que cela : "je suis parfait dans un monde parfait". Tel que l'a dit le maître !

Pour d'autres, parmi lesquels bien des hypersensibles, vous aurez beau faire, la souffrance reste réelle même si vous arrivez mieux à faire semblant face aux autres.

Pour ceux là, une dépense imprévue fait bien passer le compte bancaire au delà du rouge : dans le négatif !

Pour ceux là, un état de stress tiraille un corps meurtri de trop de tension pour voir sereinement voler les petits oiseaux. La sensation elle-même est très … négative !

Et ils sont assaillis d'émotions de peur, de colère et de tristesse : des émotions négatives.

Alors la pensée reste teintée de négatif, elle ne peut s'envoler dans les espaces clairs, la terre promise de la pensée positive. Dommage !

Dans une telle injustice, c'est une profonde révolte destructrice qui veut vous envahir.

Quel terrible bilan !

Votre corps souffre, vos émotions sont terriblement négatives, votre pensée reste sombre et morne avec pour seul élan une révolte explosive.


Soyons clairs : plus encore que les penseurs positifs, vous avez raison !

 

Mieux que seulement en grande partie, vous avez totalement raison car vous vous fondez sur une réalité vécue, palpable. Vous avez raison car vous refusez de vous noyer aux chants des sirènes. Vous avez raison parce que vous ne voulez pas vous contenter d'un monde virtuel ou factice.

Vous pourriez imaginer un monde qui n'aurait comme arithmétique que des nombres et opérateurs positifs. Plus de soustraction, plus de découvert bancaire, plus de faim, plus de manque, plus de souffrance, ...

Il faudrait être fou pour ne pas souhaiter cela !

  • Que pourrions nous dire aujourd'hui de ceux qui ne verraient pas qu'un tel monde parfait n'est pas le nôtre ?
  • Qui est fou ?
  • Qui est le mieux à même de créer ce monde meilleur et idéal ?
  • Qui est celui qui peut voir quoi corriger, améliorer, changer ?
  • Qui est celui qui peut œuvrer concrètement pour cela ?

 

Celui qui croît vivre dans un monde parfait ne le peut pas !

Celui-ci utilise toute son énergie à alimenter sa perfusion de mensonge et n'obtient comme résultat que de se transformer en imposteur, voire en victime de sa propre somatisation.

Car l'inconscient ne marche pas dans l'imposture. Il s'appuie sur la réalité entière que nous vivons.

Car notre cœur, dès qu'il est libre et ouvert, traverse bien des peines.

Car notre corps marche sur une matière plus concrète que nos boniments.

 

Chez nous les humains d'aujourd'hui, l'inconscient est bien plus grand et puissant que la part maigrichonne que nous nommons consciente.

Nos cœurs et nos corps endoloris n'occultent pas leurs blessures. Tout au plus, ils accepteront quelque anesthésie.

Il n'est que la tête qui ment, même si parfois elle fait pieux mensonges, dois-je préciser par respect de la sophrologie et de l'hypnose.

 

Si la pensée positive prend tout le champ de nos vies, aucune évolution n'est alors possible. Il serait totalement stupide de changer un monde parfait. Pour quoi le ferions-nous ?

 

La pensée positive, sans ce sens critique qui paraît si négatif, devient l’antichambre de l'impuissance.

Elle permet de courir plus vite vers des buts mais ne sait pas définir des buts qui font sens.

 

Chaque pensée négative est porteuse d'une demande de changement.

La souffrance demande des buts consistants.

La révolte exige de puissantes réalisations.

 

C'est l'histoire de la quasi totalité de mes clients qui viennent au coaching non tant pour soigner des blessures que pour amorcer des changements vers des objectifs mieux clarifiés. Ils viennent avec leur négativité assumée plus qu'ignorée. Ils viennent avec cette vague mais bonne intuition qu'elle est source pour un avenir constructif. Ils ont déjà gagné !

 

C'est l'histoire de ces clients qui, au bord d'un burn out (que je constate de plus en plus fréquent), souffrent des conséquences désastreuses du diktat de positivisme dans certaines entreprises.

Soyez positifs … surtout peut être avec vos chefs et autres recruteurs !

N'exprimez donc pas de critiques !

Ne vous préoccupez donc pas des dysfonctionnements !

Ne dites pas des choses qui dérangent … la quiétude de la pensée positive !

Ne dépensez pas votre énergie pour savoir où aller mais déployez là pour aller vite … dans un mur certain !

 

Comment peuvent-ils être si dupes que leur diktat est plus destructif que positif ?

C'est un diktat de double négation : ne pensez pas négatif !

Si vous sentez poindre ce burn out, dites vous bien que le monde qui semble vous abandonner est peut être bien le monde que vous devez abandonner pour faire renaître le vôtre, plus réel, plus consistant, plus constructif dans et vers beaucoup plus de sens.

 

Cette pensée négative qui construit, c'est aussi l'histoire de notre bon Docteur Tournesac et sa révolte dans un précédent numéro de Santé Intégrative contre l'occultation et la négligence de l’hypersensibilité chimique multiple. Grâce à sa posture si négative et chargée de colère, il nous invite à penser le changement, et il œuvre concrètement pour ce faire.

 

La psychologie moderne, appuyée des neuro-sciences et d'une philosophie humaniste, nous a fait prendre conscience de l'énormité du piège de la pense négative, comme des croyances fondées sur la peur et des comportements basés sur les mécanismes de domination..

C'est certainement un pas important pour l'évolution de la conscience humaine. Sans doute cela devrait-il faire partie de tout enseignement et, à mon avis, bien au delà des filières spécialisées dans les psychologies.

Encore une fois dans l'histoire de l'évolution de la conscience, sur de belles idées ou découvertes se greffent des excès, de nouvelles vérités absolues, de nouveaux extrémismes.

Je me souviens ; lors de mes études de coaching, du curieux effet que cela avait sur certains. Je les appelle avec affection : les Bisounours. Plus qu'un biais cognitif, cela relevait d'un déni de réalité, d'une occultation des choses, d'une sorte de méthode Coué (Émile !) utilisée de façon un peu stérile.

Les plus extrêmes, voire les moins conscients, devenaient ceux qui sont capables de vous dire : « aimez-vous les uns les autres … sinon vous serez maudits sur quatre générations ! ». Ne soyez pas négatif, disent-ils !!!

 

Si la stagnation dans la pensée négative est la garantie absolue d'échouer, la pensée positive systématique offre encore plus une garantie d'échec..

Là encore, la vérité n'est certainement pas d'un côté ou de l'autre, mais dans la conscience paradoxale des deux opposés.

Pensée négative et pensée positive séparément concourent à une même impuissance. L'une n'est rien sans l'autre.

 

Jouons pour finir d'un peu de formules paradoxales.

Si la pensée négative occulte de son masque sombre une part bien présente d'une réalité que vous peinez à voir :

Arrêtez donc d'être négatif en pensant que votre pensée négative n'est pas constructive !

Sinon :

Arrêtez d'être positifs en pensant que votre pensée positive serait autre qu'une fuite illusoire !

 

En très bref : là aussi, soyez intégratifs !